Les liens sociaux dans le Grand Paris
Le capital social comme facteur de résilience

Les liens sociaux sont au cœur de la résilience urbaine. Ils participent à la capacité des habitants d’un territoire à s’adapter et à faire face aux crises. Pour rendre compte de l’intensité des relations sociales dans le Grand Paris, l’Apur a interrogé plus de 2 500 habitants en juin 2023.

Nuit blanche 2023, Paris 4e © Joséphine Brueder / Ville de Paris

Les résultats du questionnaire, complétés d’entretiens qualitatifs, d’échanges avec des chercheurs et des acteurs de terrain, ont permis d’analyser les caractéristiques et les effets de ces liens sociaux, pour proposer un ensemble de pistes d’action afin de les renforcer.

Combien de proches comptent les habitants du Grand Paris ? Qui disposent de réseaux sociaux étoffés et qui souffrent au contraire de solitude ? Quelles sont les interactions entre voisins ? À qui pensent les habitants pour leur venir en aide en cas de difficulté ?
Partant du constat que les relations sociales constituent un vecteur essentiel de résilience, cette étude propose une analyse de l’intensité, des caractéristiques et des effets des liens sociaux dans le Grand Paris.

Les liens sociaux désignent l’ensemble des relations qu’entretiennent un individu ou un groupe d’individus. Ils peuvent être de natures différentes (familiales, professionnelles, de voisinage, liées aux loisirs…), ponctuels ou plus durables. Ils forment une ressource, un « capital », en cas de besoin : lorsqu’il s’agit de partager une information sur un évènement, de recommander une connaissance ou de demander de l’aide à un voisin par exemple.

L’impact de ce capital a été démontré dans le cadre de plusieurs travaux de recherche. Parmi eux, l’étude d’Eric Klinenberg concernant les effets de la canicule de 1995 à Chicago fait référence, mettant en évidence de plus faibles taux de mortalité dans les quartiers comptant davantage de lieux et d’organisations communautaires, vecteurs d’interconnaissance et d’entraide.

L’analyse des liens sociaux dans le Grand Paris proposée s’inscrit dans le prolongement de travaux qualitatifs auxquels a contribué l’Apur depuis 2020, sur les « solidarités de proximité », en collaboration avec la Ville de Paris et le Conseil Départemental de Seine-Saint-Denis. L’étude a donné lieu à un comité de suivi auquel ont participé d’autres partenaires, dont les territoires de Plaine Commune et d’Est Ensemble et Paris Habitat.

Les résultats sont présentés en quatre parties :

  • La première caractérise les liens sociaux dans leur ensemble à l’échelle du Grand Paris.
  • La deuxième se focalise sur les relations de voisinage et à l’échelle des quartiers.
  • La troisième met en évidence la façon dont les liens sociaux peuvent être mobilisés en cas de besoin, ainsi que les facteurs d’évolution et de vulnérabilité associés aux relations sociales.
  • Une dernière partie propose des pistes de réflexion pour renforcer les liens sociaux dans le Grand Paris.

Caractéristiques et intensité des liens sociaux

Des relations sociales globalement denses dans le Grand Paris, avec des signes de vulnérabilité

Les répondants au questionnaire étaient invités à dénombrer et qualifier leurs relations avec leurs « proches », à savoir les personnes avec qui ils se sentent à l’aise et à qui ils pourraient demander de l’aide en cas de besoin. 89% des répondants du Grand Paris indiquent compter plus de cinq proches. À l’inverse, 11% d’entre eux ont moins de 6 proches.
Près d’un quart (23%) indiquent se sentir seuls souvent ou très souvent.

Différents cercles de sociabilité étaient proposés afin de rendre compte de la diversité des relations sociales entretenues (foyer, famille, voisins, collègues, membres d’associations, commerçants…). Cette variété des liens représente un facteur de résilience. Plus de la moitié (52%) des répondants indiquent compter au moins un proche dans quatre à six catégories parmi les neuf proposées. Près de neuf répondants sur dix (87%) désignent au moins un proche parmi leurs amis, tandis que 10% n’ont aucun ami proche. Les trois quarts des répondants en études ou en emploi comptent au moins un proche parmi leurs collègues (76%).

Des inégalités structurelles en matière de relations sociales


Le genre, le niveau de diplôme, la catégorie socio-professionnelle, et dans une certaine mesure le statut d’occupation, influencent les relations sociales. Les plus diplômés, les cadres, les propriétaires, mais aussi ceux qui indiquent se déplacer facilement ou être en bonne santé disposent de liens sociaux plus étoffés et divers. 41% des personnes sans emploi indiquent se sentir « souvent » ou « très souvent » seules, contre 23% de l’ensemble des répondants.


Les personnes en famille désignent en moyenne plus de proches que les personnes vivant seules. 82% des personnes en famille dans le Grand Paris indiquent compter au moins un proche dans leur quartier, contre 51% des personnes vivant seules. Les femmes ont des relations sociales plus nombreuses et diverses que les hommes, un résultat qui se retrouve également à catégorie socio-professionnelle équivalente.
L’âge ne joue pas de façon univoque. Les plus jeunes (18-24 ans) sont plus nombreux à se sentir seuls, même s’ils comptent plus de proches en moyenne, le nombre de proches décroissant avec l’âge. Les plus âgés indiquent un peu moins souvent se sentir seuls mais davantage en souffrir.

Les relations de voisinage à l’échelle des quartiers

Des relations de proximité qui s’étoffent avec le temps

L’étude centre une partie de l’analyse sur les relations de voisinage, partant de l’hypothèse que les solidarités de proximité et l’entraide locale sont des vecteurs de résilience et de bien-être territorial. Interrogés sur la localisation de leurs proches, 83% des habitants du Grand Paris indiquent compter au moins un proche dans leur commune ou arrondissement de résidence (13 % n’ont aucun proche dans leur commune), 68% dans leur quartier.

L’étude confirme que la durée d’installation dans un quartier joue fortement sur les relations de voisinage, soulignant l’importance des deux ou trois premières années d’installation. Plus de deux-tiers des personnes installées depuis 20 ans ou plus dans un quartier désignent au moins un proche parmi leurs voisins (68%), contre moins d’un tiers des personnes installées depuis moins de deux ans (31%).

Un peu plus d’un tiers des répondants (38%) indiquent discuter assez ou très souvent avec leurs voisins de manière spontanée. Une proportion équivalente indique reconnaître assez souvent ou très souvent des gens qu’ils croisent par hasard dans leur quartier sans toutefois les connaître (35%). Un sur cinq demandent ou rendent un service à un voisin « assez souvent » ou « très souvent » (21%). Ces interactions sont plus fréquentes pour les personnes installées depuis longtemps dans leur quartier. Par ailleurs, plus d’un quart (27%) des habitants partagent un groupe de discussion avec leurs voisins.

Des liens de voisinage qui varient selon les profils

Outre la durée de vie dans le quartier, d’autres facteurs affectent les relations entre voisins. Les personnes en familles, les cadres, les femmes et les habitants les plus âgés ont des relations de voisinage plus étoffées en moyenne. Deux-tiers des propriétaires désignent au moins un proche parmi leurs voisins (67%), contre moins de la moitié des locataires, qu’ils résident dans le parc privé (42%) ou social (44%). En outre, plus les habitants indiquent se sentir semblables à leurs voisins, plus ils désignent des proches dans leur voisinage et partagent des moments conviviaux réguliers avec eux. Cet effet « d’entre-soi » est visible quelle que soit la catégorie sociale.

Près des trois quarts des répondants indiquent ne pas avoir participé à une fête de quartier ou de voisins dans les deux ans (72%), soit parce qu’il n’y en avait pas d’organisée ou qu’ils n’en avaient pas connaissance (33%), soit parce qu’ils n’étaient pas intéressés (29%).

Une forte proportion de répondants (62%) précise toutefois qu’ils participeraient à des initiatives permettant de rencontrer des habitants de leur quartier si elles venaient à émerger.

Ces moments de convivialité jouent positivement sur les relations entretenues dans le quartier. Pour autant, seuls 17% des répondants ne désignant aucun proche parmi leurs voisins indiquent qu’ils participeraient régulièrement à des initiatives pour rencontrer des habitants si elles étaient organisées. Ce résultat pose la question du renforcement des liens faibles, de l’interconnaissance, par d’autres moyens que l’organisation d’évènements de ce type.

Mobiliser les liens sociaux en cas de difficulté et dans le temps

Des liens sociaux mobilisés de façon différente selon les besoins et les cercles de sociabilité

Afin d’inscrire l’analyse des liens sociaux dans une perspective de résilience, le questionnaire comprenait une question sur les niveaux de confiance envers différentes personnes ou institutions pour un soutien en cas de difficulté. Si plus de neuf répondants sur dix (93%) indiquent avoir confiance en leurs proches de premier cercle (famille, amis, relations amoureuses…), seuls quatre répondants sur dix (40%) font confiance aux services municipaux, et moins d’un tiers à leurs voisins (32%) ou l’État (29%).

Interrogés sur les sources d’information utilisées pour s’informer de l’actualité, plus d’un tiers des répondants (39%) citent la télévision, loin devant la radio (21%), la presse nationale (papier ou internet, 15%) et les réseaux sociaux (13%).
Outre la position sociale des individus, l’âge influe très fortement sur les canaux d’information mobilisés. Les plus jeunes (18-24 ans) citent les réseaux sociaux comme première source d’information, au même niveau que la télévision (34%). L’usage de la radio augmente avec l’âge : les seniors de 65 ans ou plus l’utilisent davantage que les autres catégories d’âge (31% contre 4% des 18-24 ans).

Le questionnaire permet également d’appréhender l’usage des réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Snapchat, TikTok, etc.) comme vecteur possible de liens sociaux. Près de la moitié (48%) des répondants indiquent utiliser régulièrement les réseaux sociaux, dont 30% très souvent. Un peu plus d’un quart (27%) les utilisent occasionnellement ou rarement et un autre quart (24%) jamais. Les résultats varient fortement selon l’âge. 30% des 18-24 ans sont tout à fait d’accord avec le fait que les réseaux sociaux ont élargi leur cercle de proches, contre 4% des 65 ans et plus. Les réseaux sociaux semblent davantage faciliter la communication avec les proches qu’ils ne créent de nouvelles relations, excepté pour les plus jeunes.

En complément, le questionnaire proposait trois mises en situation impliquant l’aide d’une tierce personne (malaise en temps de canicule, besoin d’emprunter de l’argent et besoin de se confier) pour mesurer la façon dont les relations sociales sont mobilisées selon les cas.

Dans leurs réponses, les personnes interrogées indiquent d’abord penser à une personne de leur entourage le plus proche pour les soutenir (amis, famille). En cas de malaise lors d’un épisode de canicule, ils citent pour la moitié d’entre eux un membre de leur famille (54%), de leur foyer (52%), ou de leur cercle amical (51%). Au-delà de ces liens de premier cercle, environ un tiers des répondants pensent à leurs voisins (30%) et un quart à des professionnels et services publics (24%). Les personnes habitant depuis longtemps dans un même quartier pensent davantage à leurs voisins.


Des lieux et des activités collectives favorisant les relations sociales de proximité

L’étude souligne l’importance de l’engagement et de la participation à des activités collectives pour enrichir son capital social. A l’échelle du Grand Paris, un peu plus de quatre personnes interrogées sur dix (44%) disent être impliquées dans une association, un club ou un collectif. Les femmes, les personnes plus diplômées et plus âgées, sont plus fréquemment impliquées dans ces activités collectives. À catégorie socio-professionnelle égale, les personnes participant à une association ou un collectif comptent plus de proches résidant à proximité. Moins d’un retraité sur dix (8%) impliqués dans une association indiquent avoir moins de six proches, contre un peu plus d’un quart (26%) de ceux sans engagement associatif.

Les lieux de rencontres apparaissent également déterminants. Les principaux lieux de rencontres ou d’échanges que les répondants indiquent fréquenter dans leur quartier sont les commerces, les bars-cafés-restaurants, les parcs et jardins, les espaces publics (rues, places, quais…) et les équipements publics. Une autre catégorie de lieux ressort également dans les réponses, correspondant aux espaces communs au sein des immeubles d’habitation qui pourraient être davantage investis (cours d’immeubles, halls, parties communes, jardins partagés…).

Des relations sociales qui évoluent selon les parcours de vie

L’étude fait ressortir l’impact des parcours de vie des individus sur les relations sociales, avec des changements pouvant générer davantage de liens ou inversement moins de liens (l’entrée en études supérieures ou dans la vie active, l’implication dans une association ou une activité culturelle ou sportive, un déménagement, le fait de devenir parent ou que ses amis le deviennent, les séparations, un deuil, la retraite…).

Interrogés sur l’évolution qu’ils constatent depuis deux ans dans leurs relations sociales, la moitié des répondants indiquent qu’elles n’ont pas changé (50%), un quart répondent en avoir moins (26%), un sur cinq davantage (21%). Les jeunes sont ceux qui connaissent le plus d’évolutions de leurs relations sociales dans les deux ans.

Précisant les motifs de ces évolutions, les répondants évoquent en premier lieu des notions de confiance envers autrui, d’écoute et d’authenticité des relations. La confiance en soi apparaît également comme un facteur décisif de maintien et de développement des liens sociaux, tout comme le temps disponible et la proximité géographique.

À l’inverse, le premier motif de dégradation partagé par les répondants concerne les déménagements et l’éloignement géographique. Le deuxième ensemble de raisons évoquées recoupe des tensions, des désaccords ou des divergences d’opinions ou de valeurs. En complément, des répondants mettent en avant des conflits de voisinage ou indiquent avoir le sentiment que leur quartier se dégrade et qu’il manque d’espaces de sociabilité. Le troisième ensemble de motifs concerne des évènements personnels et différentes étapes de la vie, avec en premier lieu les séparations, les problèmes familiaux ou encore les décès parmi les proches.

Pistes d’action pour renforcer les liens sociaux et la résilience

Agir sur les relations sociales passe par des actions structurelles de lutte contre les inégalités

Les résultats de l’étude mettent en avant des écarts marqués en matière de liens sociaux selon les positions sociales des individus (catégorie socio-professionnelle, niveau de diplôme, activité, situation par rapport au logement, état de santé, niveau de mobilité…). Ces résultats confirment l’importance d’agir en premier lieu sur les déterminants structurels des inégalités qui sont décisifs en matière de capital social.

Au-delà des constats, des pistes d’actions pour renforcer la résilience territoriale

En conclusion de l’étude, dix pistes de réflexion sont proposées à partir des propositions des personnes interrogées et de temps d’échanges avec des acteurs institutionnels, associatifs et universitaires. Les pistes envisagées visent autant à maintenir qu’à renforcer les liens sociaux dans le Grand Paris, et à en faciliter l’activation dans une perspective de résilience.

La première piste encourage à former et sensibiliser sur la thématique du lien social comme facteur de résilience et de santé sociale.
Un deuxième ensemble de propositions vise à multiplier les occasions de rencontre, à identifier et soutenir les personnes/collectifs mobilisés pour le lien social, à intensifier les lieux favorisant les liens et à adosser les actions favorables au lien social à d’autres types de besoins. L’importance des lieux de sociabilité ouverts à tous et accueillants a été mise en évidence dans les retours des répondants et a fait l’objet de nombreux échanges avec les partenaires de l’étude.

D’autres propositions invitent à renforcer les mobilités dans le Grand Paris pour soutenir les relations sociales, à adapter les modalités d’intervention aux profils variés des habitants, et à s’appuyer sur différents cercles et communautés supports de liens (employeurs, lieux d’enseignements, associations, collectifs, commerçants, etc.).

L’étude souligne enfin l’importance d’accompagner les moments charnières dans les parcours de vie pouvant jouer positivement ou négativement sur les liens sociaux (adolescence, entrée dans l’âge adulte, arrivée d’un enfant, séparations, décès, maladies…) et de travailler sur la confiance en soi, envers autrui et en direction des institutions pour renforcer le capital social individuel et collectif.

Ressources

Documents à télécharger

  • Étude

    Les liens sociaux dans le Grand Paris - Le capital social comme facteur de résilience

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  • Note

    Les liens sociaux dans le Grand Paris - Le capital social comme facteur de résilience

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