Article de Dominique Alba, Directrice déléguée de l'Apur, publié dans le numéro 26 de la revue IOSIS contact, décembre 2010-janvier 2011.
L’Apur n’échappe pas aux interrogations que pose la ville en ce début du XXIe siècle, face aux situations urbaines complexes, à l’urgence citoyenne et aux engagements des politiques durables. La «planification urbaine» du XXe siècle est en panne, la ville ne se porte pas bien, mais les projets sont là, «la caravane passe»…
Nous entrons dans une autre ère. Le réemploi, les espaces et bâtiments partagés, la ville à dimensions variables, ville locale, ville des réseaux, la ville agricole, la ville «polyvalente» sont la matière des projets. L’Apur, dans ce contexte très ouvert et interrogatif, a choisi d’expérimenter de deux façons : en traitant autrement ses données et son système cartographique pour permettre un «face à face entre projet et état des lieux» et, en considérant que le projet urbain tel que largement pratiqué en France n’est plus «la solution unique» : d’autres leviers tels que des actions rapides, voire événementielles font aussi «la ville». Permettre un «face-à-face projet/état des lieux» passe par la connaissance. Bien connaître, c’est pouvoir agir avec attention ; c’est le rôle des bases de données de références. Elles dressent d’innombrables portraits de villes, «villes visibles», les tissus urbains, les infrastructures, «villes cachées», les réseaux, les déplacements, la logistique, l’insalubrité, la biodiversité, «villes sensibles», vécues, habitées, parcourues, sans oublier la ville précaire, celle de ceux qui ne parlent pas. Cette connaissance s’élabore en croisant des données, avec des enquêtes de terrain, dans le cadre d’observatoires et d’ateliers regroupant acteurs engagés, chercheurs et techniciens autour d’études consacrées à des populations spécifiques, personnes précaires, handicapées, ou des sujets peu documentés, la ressource en eau, la nature urbaine, la thermographie.
La connaissance est transcrite dans des cartes mises au service des projets. Avec ces cartes, l’Apur élabore une cartographie prospective, un recollement d’actions de toutes natures qui offre aux différents acteurs la possibilité d’apprécier «ensemble» la pertinence de ce qui est engagé et de «comparer» leurs territoires. Un système de cartographie prospectif est en cours sur la couronne de Paris en interface Paris/Plaine commune ; une série de cartes sur 1 500 hectares ont été dessinées rapportant sur un état existant très précisément documenté, les actions engagées à court, moyen, et long terme. La lecture de la «carte» permet ainsi de vérifier si la conjonction des opérations engagées est en adéquation avec les objectifs de la politique urbaine… ou pas ! et de réajuster alors la ou les dites actions… La même approche vaut pour Seine Amont où, dans le cadre d’une convention avec l’EPA ORSA, l’Apur dresse une cartographie prospective sur les actions engagées et à venir le long de la Seine de Paris à Choisy le Roi.
Au-delà du «partage constructif» qu’offre la méthode, son intérêt réside dans sa capacité à permettre un face-à-face dynamique entre les lieux et le projet. Sébastien Marot, dans son ouvrage L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture propose de regarder le territoire à partir du concept de sub-urbanisme en opposition au sururbanisme. Il écrit «le sub-urbanisme peut être décrit comme une démarche de projet qui trouve son programme dans le site, ou l’invention du programme est relative à l’exploration du site, le sur-urbanisme, lui, peut être défini comme l’approche exactement inverse, une démarche de projet qui trouve son site dans le programme.».
Un territoire peut inspirer et enrichir un projet autant qu’un projet peut modifier un territoire, une évidence quand nous sommes devant des bâtiments existants, une réalité à construire en matière de projet urbain. Il s’agit d’inviter le territoire à la table du projet et non plus seulement le projet à la table du territoire. Reconsidérer un programme, récupérer un bâtiment pour d’autres usages, intégrer une opportunité, jouer sur les variations inhérentes au temps sont alors possibles. Et la palette des outils juridiques ne rend pas tout cela utopique.
Et les actions rapides… Pourquoi ?
La connaissance et le dessin des cartes demandent du temps. Dans un article du Monde 2 du 28 août 2010, le sociologue Harmunt Rosa titrait «Au secours ! Tout va trop vite, la vie nous échappe» ; on se déplace plus vite, on accède aux informations en quasi temps réel, on hésite entre fast-food et slow food. Le projet urbain est sorti du temps de la vie mais des actions sont menées, rapides, efficaces, qui changent la vie et la ville. Pourquoi ne seraient elles pas considérées aussi comme des projets urbains ? Et comment les mettre au service d’un projet de ville ?
C’est ce que l’Apur, avec les services de la ville à Paris et avec l’IAU IDF pour Paris Métropole, développe, autour de deux actions qui ambitionnent de «changer la ville vite !».
Bertrand Delanoë, maire de Paris s’est engagé en avril 2010 dans la transformation des berges de la Seine à l’été 2012* (Projet Paris métropole sur Seine). Il a été retenu pour réaliser cette transformation un mode léger, efficace, rapide et réversible, alimenté par une large concertation, des ateliers et un pilotage en équipe projet ville. Aujourd’hui, le projet s’élabore dans un mode souple, intégrant des usages liés à la nature, la culture, au sport et à l’activité économique, et laissant la place à d’autres idées qui viendront avec le temps. Le projet est une logistique et une programmation avant d’être un programme et un dessin. Dans le même esprit, agir «vite», Paris métropole a lancé un appel à initiative dans le cadre duquel chaque commune qui le souhaite (110 à ce jour) s’engage pour agir de façon durable mais avec des actions visibles à l’été 2012.
La ville du XXIe siècle en projet existe : l’exemple de l’Île de Nantes, un projet de «référence» mené par Alexandre Chemetov , est-il une référence par son «plan de masse» , «master plan» ou par la méthode, une liberté donnée de la redécouverte permanente du territoire, traduite dans le plan-guide, document qui, patiemment redessiné tous les trois mois, rendait possible le partage, l’équilibre, l’enrichissement entre un territoire à l’existant renouvelé et un projet qui pouvait alors s’ouvrir au territoire ?
L’état des lieux comme programme, les actions rapides, les espaces et bâtiments partagés, pourquoi ne seraient ils pas le «projet urbain» ? Cette réalité, ce regard là, à l’image du voyage en France de Raymond Depardon, peuvent être invités à la table de l’urbanisme aujourd’hui. C’est ce à quoi s’emploi l’Atelier parisien d’urbanisme.
* Impulsé par la Ville de Paris, Paris Métropole est un syndicat mixte d’études regroupant une centaine de collectivités qui souhaitent trouver ensemble les réponses aux défis sociaux, économiques, et environnementaux de leurs territoires.