Les jeux vidéo, les plateformes de streaming et les services d’information ont été dopés par la crise alors que le spectacle vivant, la musique et les musées ont été fortement touchés.

Cette note a été réalisée conjointement avec la direction régionale de l'Insee Île-de-France et l'institut Paris Région.
De nombreux domaines de la culture ont connu une forte perte d’activité pendant le confinement strict du printemps 2020, mais certains se sont mieux relevés que d’autres : le domaine du livre a ainsi pratiquement retrouvé, début 2021, son niveau d’avant-crise. À l’inverse, la perte d’activité en 2020 est sévère dans le spectacle vivant et la musique et perdure début 2021.
L’Île-de-France occupe une place privilégiée dans le domaine de la culture : forte présence d’artistes, tissu entrepreneurial dynamique, pôle de formation, accès aux financements et réseaux professionnels. En 2017, 310 000 emplois culturels y sont localisés, dont 147 000 directement liés à une profession culturelle (voir encadré). Le cinéma-audiovisuel est un domaine d’activité particulièrement concentré en Île-de-France, avec deux emplois français sur trois du secteur.
La très grande majorité (88 %) de ces emplois sont concentrés dans la Métropole du Grand Paris.
En plus de ces 310 000 emplois, 108 000 personnes relèvent d’une profession culturelle sans pour autant travailler dans un secteur directement lié à la culture : c’est le cas, par exemple, d’un designer dans une société de textile ou d’un comédien dans un parc d'attraction . Avec, au total, près de 420 000 emplois relevant d’un secteur ou d’une profession liés à la culture, l’Île-de-France est la première région culturelle du pays, concentrant plus de quatre emplois sur dix à l’échelle nationale. Environ 230 000 de ces emplois franciliens sont localisés à Paris.
Un recours fréquent aux non-salariés et des conditions d’emplois plus précaires
Sur les 310 000 emplois relevant du secteur de la culture, 70 300 sont occupés par des non-salariés, soit 23 % de ces emplois : une proportion plus élevée que dans l’ensemble de l’économie (10 %). Les non-salariés du secteur culturel sont présents, en premier lieu, dans les arts visuels (design, photo, arts plastiques, 59 %) mais aussi dans une moindre mesure dans l’architecture (29 %), le spectacle vivant et la musique (22 % chacun). Cette forme d’emploi permet de cumuler plusieurs activités et de s’adapter plus facilement au fonctionnement en mode « projet », mais elle peut aussi se traduire par des conditions de travail plus précaires. Les actifs de la culture concernés déclarent un revenu moyen mensuel de 1 843 euros, soit 40 % de moins que celui de l’ensemble des non-salariés franciliens. Ce revenu varie selon le secteur d’activité (de 580 euros dans l’enseignement artistique à 3 200 euros dans l’architecture et la publicité) et le statut (de 533 euros pour les micro-entrepreneurs à 3 477 euros pour les entrepreneurs individuels, gérants et professions libérales). Il peut s’ajouter à des salaires pour les personnes cumulant cette activité avec un emploi salarié.
Qu’il soit salarié ou non, un emploi culturel sur cinq ne correspond pas à un emploi à temps complet : 22 % des actifs du secteur culturel travaillent à temps partiel (14 % pour l’ensemble des actifs travaillant en Île-de-France). Dans les domaines de la musique et du spectacle vivant, qui comprennent entre autres les intermittents du spectacle (encadré 1), cette proportion est encore plus élevée. Dans le contexte de crise sanitaire, le temps partiel peut fragiliser les professionnels de ces domaines, et ce malgré les aides dispensées par les pouvoirs publics (encadré 2).
Encadré 1. UNE ANNEE BLANCHE POUR LES INTERMITTENTS DU SPECTACLE |
Encadré 2. DES PLANS DE SOUTIEN A DIFFERENTS NIVEAUX |
Une majorité d’emplois qualifiés
Les activités culturelles recouvrent un large éventail de métiers et une grande diversité de profils. Plus diplômés que la moyenne (57 % détiennent un diplôme de deuxième ou troisième cycle universitaire, contre 40 % tous secteurs confondus), les actifs de ce secteur occupent aussi plus souvent des emplois de cadres (51 % des emplois contre 30 % tous secteurs confondus), notamment dans les domaines de l’architecture (73 %) et de l’enseignement (65 %).
Le secteur culturel s’est nettement féminisé : en 2017, le secteur emploie presque autant de femmes que d’hommes, contre moins d’un tiers en 1991. Pour autant, dans le cinéma-audiovisuel, près de six actifs sur dix sont des hommes, en lien avec leur plus forte présence dans certains métiers techniques du spectacle (producteurs, réalisateurs, ingénieurs du son, etc.).
Dans les domaines du livre, de l’enseignement et du patrimoine, les femmes sont plus nombreuses. Les domaines du cinéma-audiovisuel et de la publicité se caractérisent par l’emploi plus fréquent de jeunes : par exemple, près de la moitié des graphistes et des designers ont moins de 35 ans, contre moins de 20 % des bibliothécaires et des conservateurs, métiers relevant respectivement de la presse et du patrimoine.
88 % de l’emploi culturel francilien est situé dans la métropole du Grand Paris
En Île-de-France, les trois quarts des emplois culturels sont concentrés à Paris et dans les Hauts-de-Seine alors que ces départements représentent 48 % de l’ensemble de l’emploi francilien.
Cela s’explique par l’implantation historique du livre dans le Quartier latin à Paris (éditions Larousse, Hatier…), des musées et institutions culturelles le long de la Seine à Paris (Musées du Louvre et d’Orsay, Bibliothèque François Mitterrand…) et de l’audiovisuel à Paris (Maison de la radio…), à Boulogne-Billancourt et Issy-les-Moulineaux (TF1, Canal+, C8…). Certaines localisations dans la région ont été impulsées par des politiques publiques : l’audiovisuel dans les 15e et 16e arrondissements parisiens, en continuité avec Boulogne-Billancourt et Issy-les-Moulineaux, les studios et les industries techniques à la Plaine Saint-Denis (Cité du cinéma, école Louis Lumière). D’autres implantations sont liées à des effets d’aubaine (opportunités foncières, friches industrielles reconverties), particulièrement dans le nord-est parisien : les agences d’architecture et de publicité (BETC à Pantin, par exemple) et les arts visuels, tels que le jeu vidéo, majoritairement à l’est de la rive droite parisienne et en très proche couronne, notamment à Montreuil. À l’ouest de Paris, les entreprises de la presse et de la publicité sont aussi très présentes dans le quartier d’affaires du Triangle d’or (Champs-Élysées, Paris 8e) et, dans la continuité, en petite couronne à Clichy ou Levallois-Perret (Hachette, Elle International).
Dans d’autres domaines, la localisation des entreprises est moins concentrée. Ainsi, les établissements de spectacle vivant se répartissent sur l’ensemble du territoire régional mais gardent néanmoins une très forte présence à Paris (environ 500 salles de théâtre et de spectacle privées) et, en proche couronne, notamment à Montreuil, Boulogne-Billancourt et Courbevoie, où l’offre en équipements publics culturels est abondante. Les salles de cinéma sont davantage réparties sur le territoire de la métropole du Grand Paris.
Des pertes d’activité contrastées selon les domaines
En 2019, en Île-de-France, le chiffre d’affaires global des entreprises franciliennes des domaines culturels approchait 52 milliards d’euros. En 2020, du fait des restrictions liées à la crise sanitaire, ce chiffre d’affaires a chuté de près de 12 %, soit un recul similaire à celui observé dans toute la France. Le volume d’heures rémunérées a diminué quant à lui de 11 % en Île-de-France entre 2019 et 2020, contre - 9,5 % au niveau national.
La diminution du chiffre d’affaires varie selon les domaines : - 43 % dans le spectacle vivant, - 28 % dans la musique, - 13 % dans le patrimoine, mais - 5 % seulement dans le cinéma-audiovisuel et - 4,5 % dans le livre.
Selon les activités prédominantes dans les territoires de la région, la crise sanitaire a ainsi plus ou moins impacté l’emploi local. En Seine-Saint-Denis, où dominent spectacle vivant, musique et arts visuels, activités très restreintes par les règles sanitaires, le volume d’heures rémunérées a reculé de 18 %.
À l’opposé, dans le département des Hauts-de-Seine, il n’a baissé que de 9 % car les activités culturelles dominantes sont celles qui ont été moins impactées par la crise (audiovisuel et publicité). À Paris, la perte d’activité a été d’environ 12 %.
Jeux vidéo, plateformes de streaming et services d’information dopés par la crise
En 2020 et début 2021, la crise sanitaire et les différents confinements ont accéléré le développement de certains secteurs. C’est notamment le cas des produits culturels « consommés » à domicile, comme le jeu vidéo : en 2020, le chiffre d’affaires dans ce domaine dégagé par les entreprises régionales (1,7 milliard d’euros) a bondi de 28 % par rapport à 2019. L’édition et la distribution de vidéos (+ 10 %) ou encore les plateformes de streaming et de téléchargement (+ 17 %) se sont également développées alors que l’édition musicale (- 4 %) et le commerce en détail de disques (- 5 %) ont limité les pertes grâce aux achats de fin d’année.
La situation sanitaire a également accru les besoins d’information du public. L’activité des services d’information, des journalistes, des photographes, des agences de presse et de la diffusion radiophonique est restée stable, voire en légère croissance en 2020.
Livre et production de films se sont relevés à l’issue du premier confinement
D’autres domaines d’activité ont été particulièrement impactés par le confinement du printemps 2020 mais se sont redressés par la suite. Parmi eux, les filières du livre et de la presse ont bénéficié du classement fin 2020 des librairies parmi les commerces dits essentiels.
De même, grâce à une adaptation des conditions de tournage, la filière cinéma (édition de chaînes de télévision, production et post-production de films) a pu maintenir son activité (environ 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019 en Île-de-France). Malgré leur interruption totale durant le confinement strict du printemps 2020 et l’absence des productions étrangères due à l’impossibilité de voyager, Paris a accueilli en 2020 les tournages de 93 longs métrages, 64 séries et 223 films publicitaires, soit presque autant qu’en 2019. À l’inverse, en aval de la filière, la distribution et la projection de films de cinéma ont rencontré davantage de difficultés, avec une perte de 30 % du chiffre d’affaires et de 14 % du volume d’heures rémunérées en 2020.
Spectacle vivant, musique, musées guides… des activités fortement impactées
Les restrictions de rassemblements et l’absence de la clientèle internationale ont également fortement impacté l’organisation des festivals et, plus généralement, le secteur du spectacle vivant. L’activité des filières de production des artistes et de gestion des salles de spectacle a diminué de 59 % en 2020 et le volume d’heures rémunérées s’y est réduit d’un tiers. Dans ce domaine où l’emploi non salarié et le statut d’intermittent du spectacle sont fréquents, la baisse de l’activité est difficile à mesurer.
Dans les domaines très subventionnés ou relevant du secteur public comme la gestion des musées, des sites et des monuments historiques, la perte d’activité se mesure à l’aune de leur fréquentation. Entre mars 2020 et mai 2021, ces établissements culturels ont totalisé plus de onze mois de fermeture. Dans les musées de la Ville de Paris, le nombre d’entrées a chuté en 2020 de 52 % pour les expositions temporaires et de 55 % pour les collections permanentes. Le chiffre d’affaires des galeries d’art a reculé dans une moindre mesure (- 20 %) du fait de périodes de fermeture moins longues et de l’alternative qu’elles ont pu constituer pour les amateurs de musées.
Conclusion
En 2017, la France métropolitaine compte 747 000 emplois culturels, dont 310 000 sont localisés en Île-de-France et 177 000 à Paris. Le poids du secteur culturel étant important dans l’économie parisienne, métropolitaine et régionale, l’évolution de l’activité dans ce secteur a eu un impact direct sur l’économie de ses territoires. La situation devrait s’améliorer progressivement dans les semaines et mois à venir, avec la levée du couvre-feu et la réouverture récente des salles de cinéma et de spectacle, des théâtres, des musées et des monuments.
Toutefois, par son ampleur inédite, son intensité et sa durée, la crise de la Covid-19 a mis à mal et fragilisé les professionnels et les emplois du secteur culturel dans la durée. L’annulation des festivals et des tournées de certains spectacles, la poursuite d’une partie des mesures sanitaires et l’affaiblissement de la demande se traduisent par une reprise lente pour le spectacle vivant (musique, théâtre, danse, cirque et arts de la rue) et le cinéma. De même l’annulation de certaines expositions et la forte dépendance à la reprise de l’industrie du tourisme font peser un risque important sur l’activité des musées.
Le développement d’une offre culturelle en ligne a aidé certains professionnels à maintenir une activité, voire dégager des revenus pendant cette période transitoire, toutefois cette pratique ne concerne qu’un nombre limité d’acteurs compte tenu des coûts d’investissements importants qu’elle implique.
Durant toute la durée de cette crise, le secteur culturel a bénéficié de plans de soutien mis en œuvre par l’État, la région et d’autres collectivités, ces aides ont permis de compenser l’absence ou la baisse de recettes.
Certains domaines de la culture ont été relativement épargnés car ils se sont relevés plus vite que d’autres à l’issue du premier confinement, comme les filières du livre et de la presse ainsi que la production et la post production de films ou encore l’édition de chaînes de télévision.
La crise a même accéléré le développement de certains secteurs, c’est le cas notamment des produits « culturels » consommés à domicile tels que le jeu vidéo et les nouveaux modes de diffusion en streaming. Toutes les activités en lien avec les services d’information ont également été dopées pour donner suite à des besoins plus importants.
Les impacts sur les territoires seront par conséquent différenciés. Les territoires tournés vers le spectacle vivant et la présence de personnes physiques vectrices de lien social seront plus impactés, à l’inverse des territoires davantage portés vers la production de « produits culturels ». Par exemple dans l’est métropolitain (9e, 10e, 11e, 12e, 18e, 19e, 20e arrondissements de Paris, Montreuil, Bagnolet, Les Lilas) où les établissements du spectacle vivant sont plus présents, l’impact risque de perdurer plus longtemps que dans les territoires de l’ouest métropolitain (6e, 8e, 15e, 16e, 17e arrondissements de Paris, Boulogne-Billancourt, Issy-les-Moulineaux, Neuilly-sur-Seine, Puteaux, Levallois-Perret, Clichy, Gennevilliers) où le cinéma-audiovisuel, le livre et la presse prédominent.
POUR COMPRENDRE Le champ économique de la culture a été défini par le service statistique du ministère de la Culture, d’après une grille européenne adaptée dans le contexte de la pandémie de Covid-19 afin de cibler plus spécifiquement les activités impactées par la crise sanitaire. Elle se base essentiellement sur la nomenclature d’activité française NAF rév. 2 de l’Insee. En complément à cette approche, l’emploi culturel peut être défini comme un ensemble de métiers issus des nomenclatures de professions et de catégories socioprofessionnelles (PCS). Dans cette étude, c’est l’approche par les activités qui a été retenue. Les activités culturelles sont ainsi regroupées en dix domaines : architecture, arts visuels, cinéma-audiovisuel, enseignement, livre, musique, patrimoine, presse, publicité et spectacle vivant. La filière du spectacle vivant musical (30 300 emplois en Île-de-France) est intégrée à la fois aux domaines de la musique et du spectacle vivant, mais n’est pas comptée en double dans le total de l’emploi. Dans la cartographie, l’orientation de chaque commune est déterminée à l’aide d’une analyse en composantes principales (ACP) réalisée à partir de la part de chacun des domaines culturels dans l’emploi total. Une classification ascendante hiérarchique (CAH) permet ensuite de dresser une typologie des communes afin de déterminer leur orientation dans l’un des dix domaines définis. Les chiffres d’affaires par domaine sont estimés à partir d’une source fiscale, le formulaire CA3, que doivent remplir les entreprises pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) tous les mois ou tous les trimestres. Cette estimation est réalisée sur le champ des entreprises régionales, c’est-à-dire celles pour lesquelles au moins 80 % de l’emploi salarié est localisé en Île-de-France. Les volumes d’heures rémunérées sont calculés à partir des déclarations sociales nominatives (DSN). Les revenus des non-salariés sont estimés à l’aide la base non-salariés de l’Insee qui permet d’analyser le profil des non-salariés et leurs niveaux de revenus par secteur d’activité détaillé et à un niveau infra national (la commune d’activité étant connue). L’intermittence du spectacle concerne les emplois en « CDD d’usage » accordés aux artistes et aux techniciens du spectacle vivant. Il leur permet d’alterner des périodes travaillées et des périodes de non-activité pour lesquelles ils bénéficient de prestations de chômage. |
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